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Ananda Shankar – l’Inde psychédélique et l’Occident

Une médiagraphie réalisée à l’occasion de la Blackout Session du 22 avril 2025 à l’Atelier 210 (Etterbeek), consacrée à l’album Ananda Shankar and his Music (1975), en collaboration avec la Bibliothèque Hergé.
Ananda Shankar : Ananda Shankar (1970)
En 1970, Ananda Shankar sort son premier album sur le label américain Reprise Records. Il était fasciné à cette époque par le rock de Led Zeppelin et de Janis Joplin, mais souhaitait également composer une musique qui utilise les traditions indiennes du sitar, l’instrument qu’il avait appris à jouer. Sur son disque éponyme, il propose des morceaux traditionnels indiens et des reprises de chansons rock des Doors et des Rolling Stones, le tout teinté d’un psychédélisme créé par les sonorités du Moog joué par Paul Lewinson, qui a contribué à la composition de certains titres.
Ananda Shankar : Ananda Shankar and His Music (1975)
Après ce passage aux États-Unis, Ananda Shankar retourne dans son pays où il continue ses expérimentations musicales avec des artistes locaux. Son second album sort en 1975 et devient un classique du psychédélisme. Le LP n’est sorti qu’en Inde et a longtemps été recherché par les fans de ce style de musique. Il est finalement réédité dans les années 2000. Par la suite, Shankar sort encore quelques albums et compose de la musique de film et pour la télévision, ainsi que pour la troupe de danse de son épouse Tanusree. Il reviendra sur les devants de la scène au début des années 1990.
Ravi Shankar : Flowers of India (1937 & 1956)
Fils des danseurs Uday et Amala Shankar, Ananda naît en 1942 au pied de l’Himalaya, dans l’Uttar Pradesh. Uday Shankar dirigeait une troupe de musiciens et danseurs dont faisait également partie Ravi, son frère (et donc oncle d’Ananda), qui deviendra le célèbre sitariste. Cette troupe a tourné en Inde et partout dans le monde dans les années 1930 dans le but de faire connaître et apprécier les musiques indiennes. Ce disque propose des enregistrements de 1937 aux USA, ainsi que des ragas joués par Ravi Shankar alors qu’il était encore au début de sa carrière en 1956.
Vilayat Khan / Ali Akbar Khan : Psychedelic Music of India (1955)
Enregistré en 1955, ce disque est important dans l'histoire : c'est par lui que de nombreux Occidentaux ont découvert la musique indienne classique. Le titre est trompeur : il n’y a rien de psychédélique dans cet enregistrement, en tous cas pas dans le sens que ce terme prendra dans les années 1960 et 70 dans le rock. Il s’agit de ragas joués dans la plus pure tradition hindoustanie, au sarod par Ali Akbar Khan et au sitar par Vilayat Khan, le tout précédé d’une introduction par le violoniste classique Yehudi Menuhin qui s’est intéressé à la culture indienne suite à un voyage dans le pays en 1952.
Ravi Shankar & Yehudi Menuhin : West Meets East: the Historic Shankar/ Menuhin Sessions (1967-76)
Ce même Yehudi Menuhin enregistrera un album avec Ravi Shankar en 1967. Ils se connaissaient déjà depuis longtemps, mais n’avaient pas encore joué ensemble. Ils se rejoindront pour un premier concert en duo au festival de Bath en 1966 puis sortiront divers albums. Ce disque compile le meilleur de leurs collaborations de 1967, 1968 et 1976. Ces enregistrements ont eu énormément de succès et sont essentiels dans l'histoire de la fusion entre les musiques indiennes et occidentales classiques, et ont inspiré beaucoup de musiciens par la suite.
George Harrison : Wonderwall (1968)
Intéressés par les philosophies orientales (et les drogues psychédéliques), les Beatles arrivent en février 1968 en Inde, à Rishikesh, pour pratiquer la méditation. Un mois auparavant, George Harrison, déjà inspiré par les musiques traditionnelles indiennes, enregistre diverses pièces à Mumbai avec entre autres Ashish Kahn au sarod, Hariprasad Chaurasia au bansuri, Shambhu Das et Shankar Ghosh au sitar et Mahapurush Misra au tabla. Certains des morceaux sont retravaillés pour former la bande originale du film Wonderwall de Joe Massot. Les influences indiennes se retrouvent également sur les albums des Beatles de la même époque.
Davy Graham : Folk, Blues & Beyond (1964)
Durant les années 1960, d’autres artistes britanniques s’intéressent au raga, mais d’une manière différente. Le musicien folk Davy Graham, par exemple, expérimente avec les accords qu’il joue à la guitare et s’inspire des sonorités du sitar, reproduisant les textures de la musique classique hindoustanie. Cela s’entend tout particulièrement sur l’adaptation d’un traditionnel irlandais « She Moved to the Fair ». Il sera à la base d’un courant nommé « raga guitar » qui aura de nombreux émules au Royaume-Uni, mais aussi aux États-Unis, jusqu’à aujourd’hui.
The Incredible String Band : The Hangman’s Beautiful Daughter (1968)
Certains musiciens et groupes s’intéressent de près aux instruments indiens et les intègrent dans des albums. C’est le cas de Mike Heron de l’Incredible String Band qui joue du sitar sur l’album The Hangman’s Beautiful Daughter de 1968. Son comparse Robin Williamson ajoute d’autres textures avec du shehnai. L’Inde et la musique classique hindoustanie n’est ici plus qu’un prétexte parmi d’autres influences du monde entier, il n’y a aucun but de créer une musique authentique, mais bien d’inventer quelque chose de nouveau, de psychédélique et dans l’air du temps.
Pandit Pran Nath : Raga Cycle, Palace Theatre, Paris 1972 (1972)
Pandit Pran Nath est un autre de ces musiciens indiens dont l’impact sur les artistes occidentaux a été important, même si c’est moins documenté. Chanteur de dhrupad et khayal, il s’est installé aux États-Unis dans les années 1970. Il y a rencontré des musiciens jazz et minimalistes comme La Monte Young, Terry Riley et Don Cherry dont il est devenu le maître. Plutôt que de transmettre les techniques de la musique hindoustanie, il a encouragé le développement personnel, leur enseignant des préceptes issus du mysticisme shivaïte. Sur cet enregistrement de ragas, il est accompagné aux percussions par La Monte Young, Marian Zazeela et Terry Riley.
John McLaughlin & Shakti : Shakti (1975)
Le guitariste John Mclaughlin s’est intéressé dès les années 1960 aux philosophies orientales et est devenu un disciple du gourou Sri Chinmoy en 1970, ajoutant à son nom le préfixe « Mahavishnu ». Shakti n’est pas le premier projet où il mélange jazz-rock et musique indienne, mais il marque le retour de l’artiste à la guitare acoustique qu’il joue d’une manière proche du sitar. Sa virtuosité et son sens de l’improvisation ont marqué les esprits, et cet album, enregistré en concert en 1975 avec le violoniste L. Shankar et les percussionnistes R. Raghavan, T.S. Vinayakaram et Zakir Hussain, est un jalon important dans les fusions est-ouest.
Zakir Hussain : Making Music (1986)
Le percussionniste Zakir Hussain sera de tous les projets de fusion Inde-Occident des années 1960 jusqu’à son décès en 2024. Joueur de tabla, il interprète tout autant les rythmes traditionnels ou classiques du raga que des musiques plus mélangées, infusées de jazz ou de world music – il collabore souvent avec Mickey Hart sur des projets liés aux percussions du monde. Sur cet album qui peut être qualifié d’ethno-jazz, il retrouve le guitariste John McLaughlin, mais aussi le flûtiste indien Hariprasad Chaurasia et le saxophoniste Jan Garbarek.
Alice Coltrane : Radha-Krsna Nama Sankirtana (1976)
Après le décès de son mari John, Alice Coltrane se tourne vers les spiritualités indiennes et devient l’élève du gourou Swami Satchidananda. Au cours de sa carrière de musicienne, elle écrira de nombreux morceaux qui s’inspirent des traditions classiques hindoustanies. L’album Radha-Krsna Nama Sankirtana qui sort en 1976 est différent de ses compositions jazz. Il s’agit en effet de bhajan, des chants dévotionnels hindouistes qu’elle interprète en y ajoutant des inflexions gospel. Elle est accompagnée par les étudiants du Centre Védanta qu’elle a fondé, ainsi que par sa fille Sita Michelle et son fils Arjuna John.
Charanjit Singh : Ten Ragas to a Disco Beat (1982)
Sorti en quelques centaines d’exemplaires en 1982 sur EMI India, cet album a été redécouvert au début des années 2010. Avec ses sonorités disco, acid jazz et funk, et des influences de Kraftwerk, il propose une musique indienne électronique, à l’avance sur son temps tout en étant influencé par les traditions anciennes des ragas hindoustanis. Charanjit Singh travaillait à l’époque comme musicien de studio, jouant de la guitare ou du synthétiseur, pour des compositeurs de Bollywood comme R.D. Burman ou Laxmikant-Pyarelal.
Fun-Da-Mental : Seize the Time (1994)
Formé en 1991, Fun-Da-Mental est un groupe britannique mêlant hip hop, électronique et fusion world. Mené par Aki Nawaz, issu de la diaspora pakistanaise vivant au Royaume-Uni, le groupe est connu pour ses compositions combinant sonorités occidentales et orientales et pour des paroles politiquement virulentes, antiracistes et souvent controversées. L’album Seize the Time est parsemé de samples de musique hindoustanie (notamment du sarangi joué par Sultan Khan) et de Bollywood, mais aussi de tablas et flûtes joués spécialement pour l’album. Il ouvrira la voie à un nouveau type de fusion.
Anokha : Soundz of the Asian Underground (1997)
La fin des années 1990 a vu l’émergence au Royaume-Uni d’un mouvement qui sera nommé Asian Underground, montrant la créativité de la diaspora indo-pakistanaise. Ce nom ne désigne pas un style particulier, mais rassemble des musiques qui vont du bhangra à la jungle, en passant par la Britpop. À cette époque, des DJ comme State of Bengal et Talvin Singh organisent les soirées Anokha à Londres, et sortent une compilation dans le même esprit. Les plages sont un mélange de bhangra, de drum’n’bass et d’électronique, le tout avec des influences de la musique indienne et du jeu de tabla.
Ananda Shankar & State of Bengal : Walking On (1998)
La nouvelle génération de DJ liée à l’Asian Underground redécouvre au milieu des années 1990 l’œuvre d’Ananda Shankar, utilisant divers samples dans leurs compositions. State of Bengal (Sam Zaman), qui connaissait déjà son répertoire, se lance dans un projet de collaboration avec l’artiste, projet initié par WOMAD et le label Real World. En 1998, après trois semaines de répétitions, ils partent en tournée ensemble et enregistrent dans la foulée un album mélangeant sitar, breakbeat et hip hop. Ananda Shankar décède peu après en 1999 d’une crise cardiaque à l’âge de 56 ans.
Cornershop : When I Was Born for the 7th Time (1997)
Cornershop, formé à Leicester en 1991, a connu un immense succès avec le single « Brimful of Asha », présent sur l’album de 1997 When I Was Born for the 7th Time. Ce groupe, composé de musiciens anglais et de sikhs vivant au Royaume-Uni proposait une musique Britpop mélodique aux franges du rock indépendant et incluant des sonorités indiennes et punjabies ainsi que du hip hop et de la musique électronique. Les rythmes sont scandés au tambour dholki tandis que le sitar et le tanpura apportent la note classique hindoustanie. En clin d’œil aux Beatles, ils reprennent « Norwegian Wood » en punjabi.
Nitin Sawhney : Beyond Skin (1999)
Nitin Sawhney est un autre de ces artistes de la scène londonienne qui mélange avec brio les musiques indiennes et occidentales. Beyond Skin, sorti sur le label Outcaste Records, est un voyage dans la pop, le jazz, la soul, le hip hop, la drum’n’bass et des airs venant tout autant des ragas que de Bollywood. Guitare, tablas et violons se combinent aux effets électroniques. L’album parle des tensions nucléaires entre l’Inde et le Pakistan, mais met surtout en avant le pacifisme et le désir de paix, au-delà de la nationalité et de la couleur de la peau.
Cheb i Sabbah : Devotion (2008)
Cheb i Sabbah, né en Algérie, d’origine juive et berbère, était un DJ et musicien qui a mélangé les musiques arabes, africaines et asiatiques. Il a sorti divers albums sur le label Six Degrees Records. Devotion est celui qui s’intéresse le plus au subcontinent indien, mélangeant musique dévotionnelle et electronica de manière très réussie, avec respect pour les traditions. Il s’est entouré de musiciens locaux qui jouent des instruments traditionnels comme le bansuri, le sarangi, diverses percussions (dhol, dholak, tabla…), mais aussi du synthétiseur auquel il ajoute des enregistrements de rue.
Ammar 808 : Global Control / Invisible Invasion (2019)
Aujourd’hui encore, l’Inde fascine toujours les musiciens. Ammar 808, aka Sofyan Ben Youssef, est un artiste tunisien basé à Bruxelles qui, après un album où il fusionnait électronique et musique nord-africaine, s’est intéressé à l’Orient. Pour réaliser Global Control / Invisible Invasion sorti en 2019, il a voyagé à travers l’état indien du Tamil Nadu et a ramené de nombreux enregistrements de terrain, des ambiances de la nature, des sons urbains. Il a également invité de nombreux artistes locaux pour les voix et a créé un disque à la croisée des chemins entre ambiances futuristes et musiques anciennes.
Texte : Anne-Sophie De Sutter
Image: pochette du disque d'Ananda Shankar