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image du film "a Cravate" de Mathias Théry et Étienne Chaillou (Quark Productions)

L'extrême-droite en Europe (1980-2025)

Tant dans le cinéma de fiction que dans le documentaire, « filmer l’ennemi » est une posture de cinéaste qui pose question et a souvent été interrogée et débattue. Comment ne pas trahir ses propres idées tout en ne caricaturant pas le personnage de l’autre bord, en ne lui ôtant pas – si possible, quand elles existent – un peu de nuance et d’épaisseur ? Ci-dessous, douze approches, de 1980 à nos jours, de la Belgique à la France, de l’Angleterre à l’Allemagne, entre skinheads néonazis et extrême droite en costume-cravate…
image du film "a Cravate" de Mathias Théry et Étienne Chaillou (Quark Productions)

BELGIQUE

Thierry Odeyn : Mais nous sommes tous antiracistes (1983)

La campagne électorale des élections communales de 1982 n’aurait-elle pas contribué à faire progresser le racisme à Bruxelles ? Documentée par Thierry Odeyn, celle-ci a lieu aussi bien dans les médias, notamment dans une émission radiophonique où le bourgmestre de Schaerbeek Roger Nols véhicule ses idéaux populistes jusqu’à sa réélection, que dans la rue où le cinéaste ne se prive pas d’entrer en interaction avec les sujets qu’il filme. Et si ce dernier se concentre sur cette séquence politique éphémère, il la remet pourtant en perspective par rapport à la grande histoire de l’immigration en Belgique. (SD)

Yves Hinant : Tiens ta droite (1995) - Tiens-toi droite (2000)

Un drapeau nazi accroché au-dessus d’un canapé où, affalé, le protagoniste du reportage regarde la télévision. Dès sa première image, Tiens ta droite pose le cadre sans détours. Le futur coréalisateur du documentaire Ni juge, ni soumise (2019) y dresse le portrait d’un jeune wallon ouvertement raciste et néonazi, tentant tant bien que mal de trouver son chemin entre amour de la moto, fascination des armes et brouillard mental. Avec Tiens-toi droite, le réalisateur le retrouve au moment de la naissance de son premier enfant. Les deux sujets pâtissent de leur durée de 13 minutes : c’est à la fois très long pour supporter autant de clichés xénophobes et d’inexactitudes historiques et trop court pour laisser émerger un peu plus de profondeur et de complexité au-delà des images chocs.

Rajae Essefiani et Frédéric Fichefet : Carnet de notes à deux voix (2001)

Un documentaire de révolte né de l'écœurement de Rajae Essefiani lorsque, en septembre 1999, elle entend le ministre de la Justice Marc Verwilghen (OpenVLD) se demander s'il existe une corrélation entre criminalité et origine ethnique. Mais le film n'oublie pas d'être intelligent, nuancé, complexe... Fragile et sensible, aussi. Plutôt qu'une œuvre monolithique et léchée, il s'agit bien d'un « carnet de notes ». Des matières très différentes coexistent : rencontres (notamment une entrevue très tendue avec l’ex-bourgmestre d’extrême droite de Schaerbeek, Roger Nols), moments d'écoute, images télévisées, archives sportives, respirations poétiques, mini-séquences de fiction... Comme une métaphore d’une société réellement tolérante, ces images cohabitent dans leurs différences. (PD)

FRANCE

Jimmy Laporal-Trésor : Les Rascals (2022)

Les Rascals sont une bande de jeunes banlieusards, d’origine métissée au look rockabilly. Ils vivent leur fraternité entre bières, filles et bagarres. Jusqu’au moment où tout ceci se transformera en véritable guerre de gangs. Une vengeance de rue traitée dans la rue. Ils seront confrontés à une autre violence, plus organisée et politisée. Le film esquisse la montée de l’extrême droite en France dans les années 1980, concrétisée par l’archétype de la brute raciste semant le chaos dans les quartiers. Ce qui, par réaction, donnera naissance au mouvement antifa, les chasseurs de skinheads qui sonneront la révolte, tout aussi violente. (StS)

Marc-Aurèle Vecchione : Antifa - Chasseurs de skins (2008)

Durant les années 1980, certains quartiers de la Ville Lumière vont être le théâtre d’une intense agitation dans le mouvement skinhead. La principale raison de ce désordre est la réponse à l’extrême droitisation d’une partie du mouvement qui prend forme et qui se manifeste de plus en plus violemment. En réponse, différents clans se créent et partent « à la chasse aux skins ». Ils déclarent la guerre et veulent « faire changer la peur de camp ». Au-delà d’une culture de la haine qui se développe de manière incontrôlable, le documentaire dresse un portrait implacable d’une jeunesse en plein désarroi. (StS)

Jean-Louis Comolli : Marseille contre Marseille (1989-2002)

On a rarement – ou même sans doute jamais – filmé le jeu électoral comme cela : sur une période de presque quinze ans, en sept volets d’une durée totale de presque onze heures, le cinéaste et penseur du cinéma documentaire Jean-Louis Comolli, assisté du journaliste Michel Sanson, rendent compte d’une demi-douzaine de scrutins – municipal, régional, législatif – à Marseille. Amorcée à la mort du maire socialiste Gaston Deferre, la série rend aussi compte de l’émergence du Front national. Le second volet, La Campagne de Provence (1992) aborde l’offensive lepéniste sur la région Provence-Alpes-Côte d’Azur (et la volonté de Bernard Tapie d’y faire face) en se focalisant sur l’usage des mots (« identité », « invasion », etc.) et leur circulation d’un parti à l’autre. (PD)

Lucas Belvaux : Chez nous (2017)

Assez inégal dans la finesse qu’il consent à la caractérisation de ses personnages – on pense à cette scène de boxe qui confine à la caricature –, Lucas Belvaux réussit néanmoins à capter l’esprit du temps, aidé qu’il est par l’emploi, en fond sonore, des logorrhées médiatiques du polémiste d’extrême droite Éric Zemmour. Cette fiction sur arrière-plan de réalité dit quelque chose de la stratégie de « respectabilisation » de partis politiques à l’histoire nauséabonde, ainsi que sur l’attitude revancharde d’un électorat prolétaire délaissé par une gauche réputée hors-sol et toujours moins sociale. (SD)

Mathias Théry & Étienne Chaillou : La Cravate (2019)

Le regard porté vers son interlocuteur, Bastien Régnier commente le texte qu’on entendra en voix off, durant toute la durée du film. Un documentaire immersif qui joue franc-jeu dans son projet, le portrait d’un militant de base du FN (bientôt RN) pris dans les remous de la campagne présidentielle 2017. Ce natif de Beauvais plutôt « décontracté » s’inscrit pleinement dans la stratégie de dédiabolisation du parti menée par l’ex-n°2 Florian Philippot. Mais laissé dans l’ombre de son supérieur direct au profil de gendre idéal (avant d’être rattrapé par son passé de skinhead), « ce bon gars qui se raconte » misera sur le mauvais cheval en rejoignant Les Patriotes, micro-parti créé par Philippot après la défaite électorale du FN en 2017. (YH)

ANGLETERRE

Alan Clarke : Made in Britain (1982)

Made in Britain nous rendrait presque empathiques vis-à-vis d’un personnage de néonazi, adolescent déscolarisé et délinquant notoire, dont la xénophobie semble dirigée contre tout le monde et personne à la fois. Une tentative d’humanisation qui présente moins la racine du mal dans une idéologie raciste que dans l’injustice sociale et le rejet de l’autorité. Par la mise en scène de véhéments échanges entre le protagoniste et divers représentants de l’ordre, le film cherche à générer une dialectique dont profiterait certainement la masse des jeunes gens en perdition dans les limbes du système judiciaire britannique. (SD)

Shane Meadows : This is England (2006)

Le réalisateur s’est inspiré de certains éléments de sa jeunesse pour explorer la progression du racisme dans les Midlands. Un brassage des années 1980. Le début du libéralisme de Margaret Thatcher, les stigmates de la guerre des Malouines. L’extrême droite qui émerge et qui transforme le mouvement skin, héritiers des Mods et autres dandys anglais. L’ensemble entraînera des conséquences sur Shaun, garçon de douze ans. Un pur produit de la classe ouvrière anglaise qui devra trancher entre une mère veuve, un pitoyable cercle scolaire et une complicité naissante avec un groupe de jeunes skinheads. (StS)

ALLEMAGNE

Dennis Gansel : La Vague [Die Welle] (2008)

Dans l’Allemagne des années 2000, un professeur (plutôt gauche bohème) propose à ses étudiants lors d’un séminaire sur les régimes autoritaires de recréer au sein de leur classe, une semaine durant, les mécanismes propres aux sociétés dictatoriales. Une sorte de jeu de rôles en mode accéléré où l’apparition rapide de signes d’appartenance (chemise blanche, symbole et drapeau, geste de reconnaissance…) s’accompagne de la désignation de boucs émissaires (celles et ceux qui « n’en sont pas ») et de personnes inadaptées. Si cette construction d’un fascisme à petit échelle (sans l’aspect raciste du nazisme) va parfois vite en besogne, elle montre aussi qu’aucune société démocratique n’en est jamais naturellement immunisée contre ces dérives. (YH)

David Wnendt : Guerrière [Kriegerin] (2011)

Dans cette chronique (estivale) de la haine ordinaire dans une région désœuvrée d’Allemagne, la jeune et fanatique Marisa et sa bande de néonazis reportent leurs frustrations en s’en prenant à tout « ce qui ne leur semble pas allemand ». Si la jeune fille voit ses certitudes bousculées à l’arrivée d’un réfugié afghan et d’une jeune fugueuse dans son quotidien, le reste du gang mené par son petit ami, tue le temps entre flânerie éthylique et promenades punitives filmées (YouTube en est à ses débuts). Une petite délinquance oisive et haineuse sans véritable conscience politique, mais fascinée par les images, objets de propagande et artefacts (armes) d’un passé fantasmé, et « stimulée » dans l’ombre par un héritier direct de ce même mythe agrégateur. (YH)

UNE MÉDIAGRAPHIE RÉALISÉ PAR MÉDIATHÈQUE NOUVELLE
par Philippe Delvosalle, Simon Delwart, Yannick Hustache et Stanis Starzinski.

Image : photo de presse La Cravate (Théry et Chaillou – Quark Productions)

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