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BIFFF 2025, le fantastique, un genre au féminin
Une médiagraphie introductive commentée

D’emblée, un constat rassurant s’impose : à priori, on aurait pu imaginer que l’intégration des femmes dans le cinéma fantastique allait effectivement provoquer une extension du domaine de l’imaginaire, mais aussi peut-être, adoucir les contours naturellement flous du genre. En réalité, elles n’hésitent pas à s’emparer des codes du fantastique et du gore au sens large pour le meilleur, apportant avec elles de nouveaux grains thématiques à moudre (féminismes, inégalités sociales, de genre, écologie, male gaze, domination masculine…) au moulin de ce cinéma qui sans cesse travaille, ressasse, récupère, malaxe, crache et régurgite les grandes peurs, questions et inquiétudes existentielles de son époque.
Ainsi, dans la foulée de la parution du livre de Mona Chollet, Sorcières : La puissance invaincue des femmes (2019 ; éd La Découverte) et du documentaire Les Sorcières à Hollywood de Sophie Peyrard (2019 itou), c’est la figure iconique de la (autrefois méchante) sorcière qui a fait l’objet d’une sérieuse remise en perspective, superposant d’autres figures et couches de lecture (la rebelle, la résistante, l’indépendante, la féministe, la transgressive, la détentrice de savoirs …) à la toujours l’ancestrale incarnation maléfique de bien des contes pour enfants et adultes.

Alice Guy
Ironie de l’histoire, on rappellera que la fiction de genre a été inventée par la cinéaste et productrice Alice Guy et son séminal La fée aux choux (1896). Une réalisatrice française, par ailleurs invisibilisée des décennies durant et dont une partie des travaux ont été attribués jusqu’après son décès (1968) à certains des collaborateurs masculins avec lesquels elle avait travaillé.
Léa Mysius, Les Cinq diables (BIFFF 2022)
Vicky, une petite fille solitaire voue un attachement viscéral à sa mère Joane. Elle possède un sens olfactif hors du commun. Mais la vie de l'enfant change à l’arrivée de sa tante Julia au sein d’une famille en crise, et semble éveiller chez Vicky de bien curieuses facultés paranormales. Sur un somptueux décor alpin aux couleurs de feu (de l’automne) et porté par un formidable duo d’actrices (Sally Dramé et Adèle Exarchopoulos), Léa Mysius parvient à injecter les meilleurs éléments de la cinéphilie fantastique plutôt américaine qui l’a construite, pour raconter au final une vraie histoire d’amour imprégnée de sorcellerie moderne (et donc de féminisme). On part du Carrie de Brian De Palma (l’incendie) pour séjourner longuement en territoire lynchien (les intimités anxiogènes, l’étrangeté familière, une structure narrative en forme de ruban de Möbius…) et le subvertir de l’intérieur par ses tons fauves et minéraux, et son possible happy end aux travers de personnages forts et réconciliés. (YH)
Julia Ducournau, Titane (2021)
Alexia possède une plaque en titane dans le crâne depuis un accident de la route étant petite. Aujourd’hui, elle se dévoile en tant que show girl dans les concentrations de voitures tunées pour lesquelles elle éprouve une attirance quasi sexuelle, mais tue les inopportuns qui la serrent d’un peu trop près. Après une succession de meurtres dont celui de ses parents, elle prend la fuite, déguisée en garçon, avec dans son ventre, le fruit improbable de ses amours avec une Chevrolet ! Elle est recueillie par Vincent, un officier du corps des pompiers, qui croit reconnaitre dans celui qui se fait appeler Romain, ce garçon malingre bien peu loquace, son fils disparu 10 ans plus tôt. Une étrange relation (d’adoption) va naître entre cet homme massif, brisé, qui tient grâce à ses piquouzes quotidiennes et son hébergé(e) dont le ventre enfle chaque jour davantage. Célébré ou détesté, Titane demeure un fascinant objet de cinéma. Violent, têtu et radical comme un titre de gabber (techno sale et extrême), irréductiblement « cronenbergien » (Crash comme indépassable horizon de la sexualité mécanique et morbide, La Mouche pour son processus de métamorphose en cours), le film baigne par ailleurs dans une lumière nocturne de néon rosé, artificielle et organique qui épouse des corps meurtris ou sculptés (les pompiers en transe) ou dans le cas d’Alexia, violenté de l’extérieur (le nez cassé, le corps tuméfié, amaigri) et de l’intérieur (elle pisse de l’huile, l’accouchement). Esthétisé à outrance, provocateur, se saisissant des questions d’identités de genre et de filiation à bras le corps (de mutante), Titane se tient comme suspendu entre le coup de génie et l’exercice de style emphatique. (YH)
Julia Ducournau : Grave (2016)
Jusque-là essentiellement associée à une stratégie de survie, la représentation du cannibalisme dans le cinéma de fiction se mue en un véritable atavisme avec Grave. La phase d’exposition du film, axée sur l’entrée du personnage de Justine en études de médecine vétérinaire, exploite les nombreuses équivoques qui permettent à Julia Ducournau de faire basculer son film dans le cinéma de genre. Par son statut de bizute, soumise aux humiliations ludiques mais non moins sanglantes de ses aînés, Justine se voit contrainte d’ingérer des abats d’animaux malgré un vœu affirmé de végétarisme. De là s’enchaînent une série d’événements propres à lui révéler ce qui constitue sa nature profonde. De par la prédilection à la fois neuve et obsessionnelle de sa protagoniste pour les corps dénudés, le film suggère par avance une fin dramatique, quoique savamment amenée. (SD)
Claire Denis : Trouble Every Day (BIFFF2002)
Le cannibalisme ayant depuis longtemps perdu son caractère sacré, et par là toute portée collective, une conception moderne voudrait que le phénomène désigne un désir charnel poussé à son extrême. Or, ce qui est vrai des sociétés civilisées l’est également dans la fiction où l’anthropophagie figure désormais une déviance individuelle, une pathologie gore susceptible de n’intéresser qu’un certain cinéma de genre. Hors de ce cadre-là, la façon très personnelle dont Claire Denis se saisit du motif dans Trouble Every Day tend malgré tout à le rabattre sur une pulsion vécue comme un désordre intime, renvoyant à sa propre vision du couple en crise, mû par des intensités incontrôlables. Sans interroger plus avant ces enjeux manifestes, la réalisatrice abandonne son film à un flux d’images travaillées comme des tableaux. Plutôt que la subversion, elle va chercher l’émotion sur le visage d’une jeune femme vivant recluse, parvenant on ne sait comment à s’échapper la nuit pour se repaître du corps d’amants ramassés au bord d’une route. Le destin de cet être barbouillé de sang auquel Béatrice Dalle confère un attrait enfantin semble lié à celui d’un Américain fraîchement débarqué à Paris, joué par Vincent Gallo, sorte de dandy malade et anémié, visiblement insatisfait de sa relation avec sa jeune épouse. Un même tourment s’exprime à travers ces personnages, celui d’un monde où sexe et sentiment ne peuvent fusionner. Cet état de fait passe par un montage alterné faisant grâce à un renversement du romantisme. Que se passe-t-il alors si c’est la chair qui l’emporte ? Bercé par la musique langoureuse des Tindersticks, le film n’offre aucun commentaire à ce qu’il met en scène, multipliant plutôt les indices matériels comme autant d’effets d’ombre et de lumière venant caresser son objet dès lors réduit à une pure hypothèse. Déconnecté du sentiment amoureux, l’acte sexuel qui culmine en une pulsion dévoratrice rejoint le constat sadien d’un rapport où, du fait de leur excitante proximité, jouissance et agonie se confondent. (CDP)
Kristina Buozyte Vanishing Waves (BIFFF2013)
De cette réalisation extrêmement subtile et audacieuse qui charpente un monde parallèle blindé de pulsions sexuelles et d’angoisses diffuses, Kristina Buozyte tire un travail formel pour le moins inédit sur la sensualité des corps et des matières, le tout au travers d’un visuel qui exprime à lui seul les émotions adéquates. On est donc bien loin d’une esthétique de publicité pour parfum Fahrenheit qui se suffirait à elle seule par pure vanité arty, puisque le film ne cesse jamais de s’incarner davantage à chaque nouvelle phase de connexion. Les fondations de ce superbe film, à la fois très exigeant et très accessible, sont celles d’un vertige romantique, aux confins de l’érotisme et de l’onirisme, où l’amour aveugle les cinq sens autant qu’il fait l’effet d’une drogue qui les décuple tous. Et quand un film produit exactement le même effet, autant par la beauté folle de ses images que par le caractère immersif de son montage, autant dire que le coup de foudre n’est pas loin…(https://www.courte-focale.fr/)
Danishka Esterhazy Level 16 (BIFFF2019)
Le fameux niveau 16… Le dernier niveau de l’académie Vestalis, un internat aux faux airs d’hôpital psychiatrique abandonné qui abrite une flopée de jeunes filles. De jeunes orphelines qui n’ont jamais vu la lumière du jour, car l’air est toxique dehors… De jeunes élèves studieuses et appliquées à qui l’on apprend les vertus féminines, telles que l’obéissance, la propreté et l’humilité pour être viables à l’adoption par des sponsors fortunés à l’âge de 16 ans. La taulière de ce petit paradis facho, c’est madame Brixil, qui veille scrupuleusement à ce que ses petites pensionnaires prennent leurs vitamines chaque soir. « La santé, c’est important » répète-t-elle. Pourtant, la jeune Vivien, une fille un peu plus dégourdie que ses copines de chambrée, succombe au pire des vices : la curiosité. Elle commence par ne plus avaler ses vitamines, qui s’avèrent être des sédatifs puissants. Et elle découvre alors avec horreur ce qui se passe à l’académie, une fois que tout le monde fait de beaux rêves… https://www.senscritique.com/
Masterclass Représentation des femmes dans l’art fantastique (en français) : 09/04 - 19:00 - Stand Q&A : Masterclass
Brussels International Fantastic Film Festival (BIFFF2025)
Du 08 au 20 avril 2025
Heysel, Brussels Expo, Palais 10 : BIFFF2025
Une médiagraphie réalisée par Catherine De Poortere, Simon Delwart, et Yannick Hustache