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Prix du Hainaut 2017 1 - vue d'ensemble

Le Prix du Hainaut 2017 aide l’émergence

Ça ne ressemble pas à un concours mais au rassemblement d’œuvres qui renouvellent le plaisir de l’expérience esthétique. Une nouvelle génération souffle - fraîche et multiple.
Prix du Hainaut 2017 1 - vue d'ensemble

C’est un prix qui existe depuis plus de cent ans. Depuis plus de cent ans, chaque année, il scrute l’émergence du regard de jeunes artistes sur le monde. Avec quoi ils/elles viennent !?  Et chaque fois, c’est bête à dire, on sent poindre quelque chose de neuf, d’autonome, et qui noue de manière singulière des liens entre des pratiques qui s’inventent et celles qui les précèdent, avec le passé, le patrimoine. Ils sont dix sélectionné-e-s à prendre place dans la salle de Keramis. Au premier regard, l’espace est dégagé, rien vraiment ne ressort. Il faut errer, plonger. De manière subtile, il me semble, ces propositions esthétiques sont très attentives au contexte, au climat malsain, que ce soit économiquement, politiquement ou culturellement. Elles prennent soin de ce qui souffre, esquissent des modes de fiction sensibles, dégagent des imaginaires qui, ensemble, soutiennent la réinvention du vieux monde. On pourrait commencer en basculant dans les plans insolites des carnets de Valfret. Des plans pour rien, qui n’indiquent aucun lieu, aucune destination, et pourtant recommandent des trajets, des postures, des déplacements internes, métaphoriques. Des itinéraires prospectifs, des constructions mentales, dégager cette pulsion à cerner d’autres lieux, d’autres interactions. Ensuite, il y a les trois courtes animations d’Alexandre Dufrasne, traits noirs sur blanc, qui captivent. L’homme qui se fissure et s’effondre en débris de traits qui, aussitôt recomposent un individu neuf, complet, avant qu’il recommence à se lézarder. La maison qui se transforme en homme qui marche de l’avant, puis qui se décompose, glu informe qui retient son pied avant de redevenir maison. Le dessinateur à sa table qui trace sans fin le même cercle. Des boucles. L’expression attrape beaucoup de choses, bien des nuances, mais reste enfermée. L’art s’inscrit aussi dans la collecte d’une mémoire impossible, avec ce collectif qui réalise des livres d’artistes, rudimentaires, à peine reliés, où se trouvent consignés les récits de personnes atteintes de la maladie d’Alzheimer. Les liasses de feuilles souples sont là, épaisses, près de gants blancs (recroquevillés, empreintes de gestes) pour les manipuler délicatement, sans interférer dans ces histoires délicates, fugitives. Et, comme le plan d’une île au trésor perdue, près des recueils d’histoires, une cartographie d’espaces cérébraux, carte du ciel morcelée (Bernard Libert & Marina Mejia Suarez). Une analogie avec l’histoire de l’art : de quoi est-elle la mémoire, à quoi sert-elle, comment constituer le répertoire de tout le sensible qui s’y cristallise à travers le temps ? Aurélie Bayet s’attaque à ces images scientifiques censées dire la réalité du corps, de l’organisme, fixer la composition du vivant. À savoir les radiographies, la vérité qu’établissent les rayons X traversant la matière. Elle dilue les certitudes que ces technologies prétendent communiquer. Elle retrouve le flou, le trouble, l’incertain, les ombres, les compositions monstrueuses, l’interpénétration de différentes couches du vivant, une vie de fantômes. Romina Remmo s’empare de quelque chose de domestique, fascinant, les dés à coudre, les gestes ménagers des travaux de couture, silencieux, obsessionnels, modestes reprises ou créations discrètes. Presque silencieux. Près du corps, des doigts, de la main. Elle prolonge l’idée en transformant les dès en pots à fleur où elle fait pousser des plantes feuilletées d’or. C’est délicat et l’ensemble prend encore une autre dimension avec cette image de racines végétales cérébrales sous son verre et, plus loin, le panorama d’outils évoquant une intervention chirurgicale. Tout en finesse, c’est un véritable univers qui se dessine. Ces racines, structure mentale fantasmée, se transforment, chez Elisabeth Creusen en vitrail éclaté. Près de la table où Lorette Sagouis rassemble les bris et débris de son espace intérieur, les formes et informes de ce qu’elle pétrit, poteries gratuites, sans utilité, vaisselles dépareillées, vases approximatifs, boutons atypiques. Bibelots pétris, objets familiers à peine modelés, tels quels abandonnés dans les souvenirs. Comme quoi, ce dont on se souvient du foyer, de sa chambre à soi, ne consiste qu’en formes irréelles, sans utilité fonctionnelle. Et puis, il y a les images fortes de Cécile Voglaire, gravures à même le noir d’encre, souvenirs de baignades, d’immersion dans le liquide, la nuit du sous l’eau, plongeon dans autre élément, d’autres sensations de soi, diffracté par le choc. Des corps comme décomposés dans les jets de gouttelettes argentées, dissous dans une buée fantomatique. Et les paysages automatiques, presque enfantins de Thomas Mazzarella, que l’on dirait de petites toiles des années 1970 ramassées dans une brocante, imaginant à l’époque l’idylle colorée d’une société de machines, de paysages artificiels, de cités sur une autre planète. Sauf qu’entre temps ces représentations ont tourné au cauchemar. Science-fiction rattrapée par l’ultra-modernité. Tous ces jeunes artistes ont du talent, mais pas que, ils engagent un réel regard, neuf, ils commencent une œuvre qui va questionner, raconter le monde, essayer de le changer en nous faisant partager leurs émotions, en nous donnant envie de les suivre. C’est un prix qui remplit bien son rôle d’indiquer quelques émergences plasticiennes qui vont compter.


texte et photos (x)
Pierre Hemptinne

(x) œuvres d'Alexandre Dufrasne, Cécile Voglaire, Romina Remmo, Thomas Mazarella, Aurélie Bayet.



Prix du Hainaut des arts plastiques
jusqu'au 26 février

Keramis
1 Place des Fours-Bouteilles
7100 La Louvière


Le Prix du Hainaut est présenté à Keramis, Centre de la Céramique de la Fédération Wallonie-Bruxelles. Une occasion de visiter ce musée dédié à une histoire industrielle remarquable (l’héritage Boch) et à la création artistique contemporaine telle qu’elle explore les possibles de la céramique.

Publié le par PIERRE HEMPTINNE

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