Jazz et Franc-Maçonnerie – une fraternité secrète au cœur de l’histoire afro-américaine

Et si derrière les envolées de Duke Ellington ou les syncopes de Count Basie se cachait un secret bien gardé ? Une connexion invisible, un langage codé, un réseau d’hommes en quête d’affranchissement ? L’histoire du jazz est jalonnée d’histoires insoupçonnées, et l’une des plus fascinantes est celle de ses liens présumées avec la franc-maçonnerie. De la Nouvelle-Orléans des années 1900 aux big bands des années 1940, de nombreux jazzmen noirs (comme blancs) ont fréquenté les loges maçonniques. Contrairement aux élites européennes, où l’ordre est souvent associé aux idéaux rationalistes et laïques, la franc-maçonnerie américaine, notamment celle des Noirs, a puisé ses racines dans la spiritualité biblique et l’entraide fraternelle. Pour ces musiciens, souvent rejetés par la société ségrégationniste, l’appartenance à une loge n’était pas seulement symbolique, elle était un refuge, un espace d’émancipation.

La franc-maçonnerie, souvent perçue à travers le prisme du secret et des rituels ésotériques, s’inscrit pourtant dans une histoire bien documentée. Fondée en 1717 avec la création de la Grande Loge d’Angleterre, elle s’est rapidement diffusée dans le monde, notamment en Amérique. Mais c’est en 1784 que la franc-maçonnerie noire prend un tournant décisif avec Prince Hall, un esclave affranchi qui fonde la première loge noire à Boston. Grâce à une patente obtenue auprès de la Grande Loge d’Angleterre, il crée l’African Lodge n°459, une loge qui jouera un rôle central dans l’émancipation des Afro-Américains. La franc-maçonnerie de Prince Hall devient un pilier social et politique, elle offre à ses membres un réseau d’entraide et de solidarité, et pose les bases d’un engagement qui se prolongera dans la lutte pour les droits civiques.

En parallèle l’Underground Railroad, un réseau de routes, d'itinéraires et de refuges sûrs, joue un rôle fondamental dans la quête de liberté des Noirs américains. Ce réseau d’évasion, qui relie le Sud ségrégationniste aux États libres du Nord et au Canada, est organisé avec l’aide des églises méthodistes et des loges maçonniques affiliées à Prince Hall. Des francs-maçons noirs et blancs y collaborent en secret pour offrir un abri et des itinéraires sécurisés aux esclaves en fuite.

C’est dans ce contexte que le jazz croise la route de la franc-maçonnerie. Pour de nombreux musiciens afro-américains, celle-ci incarne un cadre intellectuel et spirituel qui offre à la fois un espace de réflexion et un soutien concret dans leur vie quotidienne. Les jazzmen francs-maçons, de W.C. Handy à Lionel Hampton, ont souvent intégré dans leurs œuvres une dimension symbolique et spirituelle. Certains voient dans Beginning to See the Light de Duke Ellington une allusion aux rites d’initiation maçonniques. Par ailleurs, Ellington compose Menelik, the Lion of Judah, une pièce qui rend hommage à l’héritage éthiopien et à la figure du roi Salomon, centrale dans l’imaginaire maçonnique afro-américain. Certains musiciens, comme Sun Ra, maître de l'afrofuturisme, intègrent des éléments ésotériques, d'égyptologie et de mysticisme dans leur univers musical et visuel. John Coltrane, avec son album Africa/Brass, explore les racines africaines de la culture afro-américaine et célèbre un héritage à la fois ancestral et universel.

En 1969, le saxophoniste Albert Ayler enregistre l’un de ses derniers albums, Music is the Healing Force of the Universe, où figure le titre évocateur Masonic Inborn, seule référence explicite à l’ordre maçonnique dans l’histoire du jazz.

Cette présentation propose un résumé des podcasts, articles et publications de Raphaël Imbert, ainsi que du livre Jazz & Franc-Maçonnerie : une histoire occultée d’Yves Rodde-Migdal.

Crédit photo : JPRoche

Publié le 25 février 2025 par Dany Ben Felix