autoportrait (c) Hélène Amouzou

Hélène Amouzou au Jacques Franck

Parfois évanescents, insaisissables, mystérieux... mais aussi forts, courageux et cohérents au sein de la série à laquelle ils donnent naissance, les singuliers autoportraits de la photographe bruxelloise.
autoportrait (c) Hélène Amouzou

Hélène Amouzou
Sous les toits, un grenier à soi

 

En 1968 à Besançon, mécontents du film qu’un réalisateur pourtant bienveillant (Chris Marker) avait consacré à leur grève, des ouvriers – poussés et aidés par l’homme d’images, pas rancunier – deviennent ce qu’ils n’avaient sans doute jamais imaginé être : des cinéastes. Ils s’approprient de nouveaux outils (la caméra, l’enregistreur) et les retournent vers eux-mêmes pour des autoportraits de groupe qui ne seront plus des films sur eux, pour eux, en leur nom, mais des films à eux. Leurs films, leur image, leur vision.

Quarante ans plus tôt, en 1929, Virginia Woolf publie son essai Une chambre à soi [A Room of One’s Own] dans lequel elle se penche sur les difficultés et les obstacles rencontrés par les femmes pour arriver à produire une œuvre littéraire dans un milieu totalement dominé et contrôlé par les hommes. Elle en arrive à dégager deux critères indispensables pour permettre à une femme d’écrire : disposer de son argent et – la condition qui donne son titre au livre – avoir une « chambre à soi » où elle peut travailler, qu’elle peut fermer à clef et où sa famille ne vient pas la déranger.

À la croisée imaginaire de ces deux histoires disjointes peut se raconter celle d’Hélène Amouzou. Née au Togo en 1969, elle fuit le pays en 1992. Ne se soupçonnant pas encore du tout photographe, elle finit par se retrouver avec sa fille à Bruxelles – elles sont passées notamment par l’Allemagne et le Limbourg. C’est ici qu’elle pose un geste qui l’amènera à la fois à dépasser ses limites et à trouver une part enfouie d’elle-même : elle pousse la porte de l’Académie de dessin et des arts visuels de Molenbeek, dirigée alors par le cinéaste Thierry Zéno et y suit les cours de photo de Nicolas Clément. Partant de là, c’est surtout seule (et d’abord pour elle-même), dans le grenier de sa maison, qu’elle réalise la bouleversante série d’autoportraits en noir et blanc qui l’ont fait connaître – et, symboliquement, exister – aux yeux du monde extérieur. Dans sa « chambre à soi », dans cet espace qui fait écho à son exil (« [laissé] comme si les gens venaient de le quitter »), Hélène Amouzou utilise les possibilités de son appareil argentique pour prolonger le temps de pose, superposer les images, enregistrer les traces de mouvements. Entre le papier peint et le mur (c’est le titre de sa monographie parue en  2009), elle pose parfois nue, souvent en robe à fleurs, presque toujours floue, de passage, fantomatique. La robe, une autre robe plus sombre et deux valises font de temps en temps office d’alter ego. Traces (muettes) de moments intenses, presque cathartiques (« [Dans ces photos] je crie, je lutte, je pleure, je fais autant de bruit que je peux mais personne ne me voit » – entretien avec Estelle Spoto, Agenda 2014), ses photos portent en elles la dialectique entre le côté flou, évanescent, insaisissable, mystérieux de la plupart d’entre elles, regardées individuellement, et la force et la cohérence de la série. Des photos dans le cadre desquelles Hélène Amouzou ne fait parfois que passer, que laisser une trace à la limite du visible mais qui – autre beau paradoxe – l’ont aidée dans son exil, au moins un temps, à se poser.

site Hélène Amouzou


Philippe Delvosalle

article écrit à l'origine pour le magazine Détours
"Colonies: héritages et tabous" (automne 2015)


exposition
Hélène Amouzou - Entre le papier peint et le mur
jusqu'au dimanche 26 février 2017

Centre culturel Jacques Franck
94 chaussée de Waterloo
1060 Bruxelles

Publié le par PHILIPPE DELVOSALLE

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