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REGARDS SUR LE SPORT
La violence : le philosophe Robert Redeker s'oppose à la thèse, selon lui angéliste, de la violence sportive comme reflet de la violence de notre société. Le sport n´est pas un monde de pureté, se débattant comme il peut face aux agressions d´une société naturellement polluante ! La mise en scène des événements sportifs, le chauvinisme hyper-nationaliste, les discours guerriers des journalistes et entraîneurs... tout cela crée une ambiance de violence tout à fait spécifique parce que sans contenu. En effet, aucune revendication sociale ou politique ici, mais une pathologie du vide. Une violence que Redecker qualifie de lycanthropique : l'homme n´y est qu'un loup pour l'homme !
Ainsi le sport d'aujourd´hui n'a-t-il pas dérivé, mais est-il plus que jamais adéquat à son essence, c'est-à-dire à son articulation sur capitalisme et libéralisme, ce qui l'amène à fabriquer un certain type d'homme. Redecker parle ainsi d'anthropofacture : d'un côté des spectateurs fanatiques et béats, de l'autre des sportifs d'élite tous formatés sur le même modèle.
Chevalier d´une équation somme toute traditionnelle (Sport = Opium du peuple), Redecker a le mérite de déranger par un regard sans concession sur sport-spectacle, lequel induirait, de par son essence même, tant la violence des masses que l'usinage des corps. Le débat est ouvert, et l'intransigeance du philosophe n'est peut-être pas telle qu'il l'a dit ici : lorsqu'il évoque le rugby qu'il pratiquait hier, le « jeu des corps d´une humanité quotidienne » ouvre une brèche dans le discours.
Le corps sportif : quel corps le sport met-il en action ? Le corps de l´« homo musculus », même s'il est dénudé, n'est pas le corps complet en ce sens qu'il n'est pas le corps sexué. Ainsi, en sport, le masquage de la pilosité est hautement symbolique. Le sportif s'organise autour de sa puissance musculaire et de sa volonté pour se dépasser, pour tenter de se libérer de toutes les contingences, matérielles, sociales, sexuelles. Il s'agit de rejeter l'instinct, de rejeter ce que la religion nomma « les puissances du bas ». Le sport conduirait ainsi à une forme de sublimation du corps sexuel et mortel : rétention, détournement, réalisation de soi-même sans satisfaction du besoin d´origine... Freud est là ! Et la civilisation moderne, qui a raté le « corps éthique », donne peu d'espoir qu'un jour la fonction sexuelle soit réintégrée dans le sport.
Le thème est intéressant mais aride, la vulgarisation n'y est guère de mise ! D'autant que l'exposé manque de structure et de clarté : l'écrivain Arvin-Bérod parle de l'entrée des femmes en sport comme d'un bouleversement, mais ne l'explique guère. Difficile à suivre, mais intéressant à débattre.
L'être bionique : pour Thierry Gaudin, polytechnicien et « prospectiviste, l'appareillage électronique que nécessite un test d'évaluation énergétique est certes spectaculaire, mais plus positif qu'inquiétant. C'est un instrument de mesure, qui ne peut qu'amener à une meilleure compréhension du corps dans lequel nous vivons. Par contre, lorsque la course à la performance entraînera les manipulations génétiques, il y aura réellement machinisme de l'individu, robotique, et naissance potentielle d'un autre être humain : l'être bionique, le sportif de demain qui ne serait plus tout à fait homme ! Le danger en sera que le sportif amateur pourra de moins en moins s'identifier à ce nouveau professionnel alors que ce processus d'identification est nécessaire à la fonction sociale pacificatrice du sport. À terme, ces manipulations rendraient obsolète le principe même de compétition. Poussée au-delà du quantitatif, l'utopie génétique viserait à la diversification du corps humain. Mais Gaudin envisage aussi que le sport du futur prenne d'autres voies; que progrès scientifique, économie et mondialisation génèrent une activité et un spectacle sportifs plus ludiques encore qu'aujourd´hui.
Une réflexion qui flirte avec la science-fiction : les athlètes du troisième millénaire seront-ils génétiquement manipulés pour gagner ? Une réflexion intéressante, tant pour les chercheurs du sport que pour ses médecins ou ses journalistes. Gaudin prévient que le sport de haut niveau peut conduire à une déshumanisation du sport. Les valeurs prônées par l'idéal olympique sont fragilisées face aux impératifs de la performance que par ailleurs cet idéal exalte.
Le tir au but : le sens de « l'acte du tireur » de penalty vu au travers de la pensée du philosophe François L'Yvonnet. C'est d'abord un ensemble de contrastes, le plus frappant étant celui de la solitude du tireur face à la foule d´un stade. Mais surtout, le tireur doit mettre un terme à l'arrogance de son petit « moi » qui peut le distraire, le rendre sensible aux cris de cette foule. Son « moi » sensible doit être tout entier dans l'action, dans la visée. La réussite du tir passe par l'attention, la « capacité d'habiter le présent », c'est-à-dire le temps de l'intention, le temps où se formule le bonheur... Chez les stoïciens : « vouloir ce qui est » c'est vouloir le « maintenant »; pour le tireur, vouloir le moment de grâce où la pensée devient acte.
Le « penalty » footballistique n'est ici que le cas particulier à partir duquel peut se développer la réflexion philosophique sur le geste sportif et les dessous de la concentration qu´il implique. Et cette réflexion nous démontre combien le plus souvent notre esprit critique ne va pas au-delà de l´émotion suscitée par l'exploit sportif. Ce sens critique, le voici ici nourri du regard et de la pensée d´un philosophe. Une démarche inattendue et certes intéressante mais difficilement accessible à nombre d'amateurs de sport compte tenu, notamment, de la difficulté d'assimiler le discours de la pensée.