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- TAÏGA, TERRE DES CHAMANS - VHS
TAÏGA, TERRE DES CHAMANS - VHS
Le document commence par le récit mythique d’un chaman sibérien. En des temps immémoriaux, les diables, descendus sur terre, décident de la dévorer. Ils commencent par la forêt, la taïga infinie de Sibérie. Ils la mordent, la mordent, la mordent encore, mais elle ne diminue jamais, elle se reconstitue, elle est infinie… Découragés, ils abandonnent leur noir dessein. La forêt sauve l’humanité de la disparition ! Maintenant, enfonçons-nous dans l’immensité blanche de la toundra de Yakoutie, sur un traîneau tiré par des rennes, en compagnie des Evenk (ou Toungouses) peuple de chasseurs et d’éleveurs, qui furent les premiers à nommer chamans ces hommes ayant vécu la mort et devenus capables de quitter leur corps pour visiter les territoires incertains des esprits. Ils chevauchent leur tambour tel un coursier de l’air, recherchant l’harmonie entre le monde des morts et le cosmos, la terre et le ciel; le geste de se fouetter les bottes avant d’entrer dans la tente a-t-il pour but de ne pas y introduire d’esprits malveillants ou plus prosaïquement d’en enlever la neige et la boue ? Ici, tout semble possible, les signes et les mots étant chargés de pouvoir. Autour du feu qui réchauffe les corps et les âmes, la communauté des jeunes écoute de doctes vieillards narrer les contes des origines où des animaux-esprits parcouraient la terre en affrontant les grands ancêtres. Pour les anciens, l’art de raconter met en jeu rien de moins que l’ordre du monde; par une culture commune révélée, qui est aussi un comportement de survie en milieu hostile, ils espèrent ressouder une société éclatée, aux racines trop longtemps coupées par le régime communiste. Beaucoup d’imaginaire s’insinue dans les récits qui ne prétendent pas décrire une situation réelle, mais sa mise en symboles. Le jeu des questions éveille la créativité pour les réponses. Le domaine habituel du chaman est la guérison des malades et la chasse. Le chasseur, choisi par les esprits et guidé par l’esprit de la chasse, ne prend que ce que les besoins en nourriture du groupe lui ordonnent. Il ne faut d’ailleurs pas dire « tuer un animal », c’est lui manquer de respect, cela tue aussi son âme, il disparaît et s’en est fini de sa chasse. Respect du gibier. On ne laisse rien sur le sol, là où il est mort, sauf le sang. Le chasseur prend tout. Les restes seront déposés sur une plate-forme funéraire; l’esprit de l’animal s’envolera libre et sans haine. La mort-sacrifice, pratiquée lors d’un décès, aide l’âme du défunt à gagner l’au-delà. La peau des rennes est tannée pour en faire des vêtements, des couvertures, des toiles de tentes; sur leurs omoplates passées au feu, se dessinent des craquelures (sorte d’écriture primitive ?) qui deviennent oracles interprétés par le chaman. Les écailles de glace éclatent emportées par les vents de neige… Dureté du climat, longueur des hivers, pénibilité d’une existence au plus près de la nature, dans le dénuement d’une simplicité obligée, sans argent. « L’administration est plus terrifiante que les loups ! ». Comme le gouvernement russe ne leur envoie pas leurs salaires, leurs pensions, les Evenk doivent pratiquer une économie de subsistance faite de troc, chasse, pêche, élevage qui leur rapporte quelque argent pour payer les études de leurs enfants. « Les chamans volent dans les cieux et ne gênent personne ! ». Le régime communiste disait qu’ils empêchaient les gens de penser. À l’heure actuelle, se dessine une demande de retour au primitivisme considéré comme un idéal de pureté originelle; une renaissance du chamanisme est constatée chez les peuples nomades et chasseurs de la taïga qui peuvent ainsi espérer reconstruire leur identité. Une grand-mère chamane un peu sourde, le regard lointain dit : « J’ai vu la taïga comme si j’étais un oiseau »… elle effleure les ailes d’un oiseau brodé sur un tapis de fourrure, elle touche les carrés de peau cousus comme s’il s’agissait d’arpents vus du ciel. Le retour de l’énergie cosmique perpétue la bonne santé de la nature. En attendant, l’exploitation minière sans frein a créé un grave déséquilibre naturel, polluant la viande du gibier et des troupeaux, menaçant la santé des gens, provoquant des comportements asociaux chez les jeunes sans repères. La qualité de medicine-men des chamans est reconnue. Une séance de guérison avec chant, tambour et danse s’accomplit. La malade est soumise à des attouchements dans un concert de toussotements, expectorations, cliquètement de gris-gris, battements irréguliers du tambour. De longues aiguilles apparaissent dans un rai de lumière… L’agitation frénétique s’apaise. Savili le chaman se penche alors face à la caméra et dit moqueur : « T’as rien vu ! Hein ? ».